La mécanique des trébuchets (2024)

Le trébuchet est l’arme de guerre la plus emblématique du Moyen âge. Cet engin de siège, qui s’est constamment perfectionné au cours des derniers siècles du Moyen âge, donnait un net avantage aux attaquants qui l’employaient. Son utilisation n’est toutefois pas aisée et requérait un entraînement rigoureux pour obtenir des résultats satisfaisants. Les plus perfectionnés des trébuchets ont même pu concurrencer le canon, qui deviendra à son tour l’arme la plus redoutable des Temps modernes.

  • Qu’est-ce qu’un siège?
  • Origine antique de la guerre de siège
  • Fonctionnement et types de trébuchet
  • Le remplacement du trébuchet par le canon

Qu’est-ce qu’un siège?

À la base, le siège est une opération passive durant laquelle une armée entoure une place forte pour lui couper son ravitaillement et ses moyens de communication, de sorte que les défenseurs ne puissent appeler des secours. Théoriquement, ce système est infaillible. Un siège peut cependant durer des semaines, voire des mois, selon les ressources de l’assiégé et l’efficacité de l’assaillant. Un siège de longue durée n’étant souhaitable par aucun des deux camps en raison de la récolte des moissons, des négociations peuvent mener à la capitulation. Il arrive parfois que l’ennemi ne capitule pas toujours aussi rapidement qu’on l’aurait désiré puisque celui-ci avait confiance de décourager l’assaillant.

En effet, les défenseurs ont leur propre stratégie pour contrer les sièges. D’abord, la plupart des châteaux forts ont une série d’obstacles devant eux où il est possible de combattre pour réduire le nombre d’agresseurs. Ensuite, la forteresse elle-même possède une muraille abrupte et elle est entourée d’un fossé rempli d’eau, de sorte que l’attaquant ne peut l’atteindre par voie terrestre. Finalement, pour maximiser leurs chances, les assiégés sortent pour razzier la campagne avant l’arrivée de l’armée adverse pour la priver de ravitaillement, ce qui à l’occasion pouvait ironiquement causer la famine chez les assiégeants. Les attaquants ont aussi leurs techniques, des techniques héritées de l’Antiquité.

Origine antique de la guerre de siège

La guerre de siège, telle qu’on la conçoit au Moyen âge, n’est pas nouvelle. Souvent, cet avantage fut numérique, stratégique, technologique ou un mélange des trois. Durant l’Antiquité, il est commun pour les souverains de se faire accompagner lors de leurs excursions militaires par des ingénieurs dédiés spécifiquement à l’art de la guerre. Polyeidos, Diadès et Charias, par exemple, furent des ingénieurs qui contribuèrent grandement aux succès militaires des rois de Macédoine Philippe II et Alexandre III dit le Grand. Les sièges antiques sont généralement caractérisés par l’emploi de mines ou de sapes, de tours d’assaut et de béliers, tous des dispositifs qui changeront peu jusqu’à la renaissance.

La mécanique des trébuchets (2)

Toutefois, l’artillerie est l’élément de la guerre de siège qui évoluera le plus durant cette période. Il est difficile d’identifier ou de prouver l’utilisation d’engin à balancier durant l’Antiquité. En revanche, les appareils de jet fonctionnant par la torsion sont bien attestés. Le plus connu est certainement la catapulte, aussi appelée onagre, dont le rabat du levier terminé par une cuillère à l’aide d’un treuil permet de lancer un projectile de 2,5 kg en trajectoire parabolique sur une distance de 250m.

« Mais la baliste et l’onagre, manœuvrés avec art, surpassent tout ce qu’on a imaginé; le courage le plus ferme, les plus solides armures ne sauraient résister à leurs coups; semblable à la foudre, tout ce qu’ils atteignent est ordinairement brisé ou détruit. »

Végèce, Traité de l’art militaire, p. 201-202.

Fonctionnant sur le même principe, le scorpion et la baliste permettent de projeter des lances et des javelots. Ces engins, efficaces durant l’Antiquité, deviennent rapidement désuets face aux murailles construites au Moyen âge. Les savoirs antiques ont été transmis aux ingénieurs médiévaux par la rédaction de traités techniques, dont les plus influents sont certainement l’Epitoma rei militaris de Végèce et les Strategemata de Frontin. Ces deux auteurs furent diffusés grâce aux nombreuses traductions en langue vernaculaire, dont l’une des plus connues est le Livre des faits d’armes et de chevalerie de Christine de Pisan au début du XVe siècle.

Fonctionnement et types de trébuchet

Le trébuchet consiste en une poutre qui pivote sur un axe. Cette poutre est divisée en deux bras de longueur inégale: au plus long est accroché une écharpe dans laquelle on peut placer un boulet et au plus court sont accrochés des cordes sur lesquelles on peut tirer, ou, plus tard, activer par un contrepoids. Pour lancer un projectile, le bras plus court, placé en hauteur, doit être rabattu rapidement pour donner un élan (impetus) au bras le plus long. Deux types principaux de trébuchets existent: celui à traction et celui à contrepoids. Un autre type qui combine les deux premiers, soit le trébuchet dit hybride, pourrait avoir existé, mais il parait avoir été peu fonctionnel. Le premier type de trébuchet, celui à traction, est le plus ancien. Inventé par les Chinois aux alentours du IVe siècle avant l’ère chrétienne, il est mis en action seulement par la force humaine. Le plus puissant trébuchet à traction chinois requérait une équipe de 250 personnes et pouvait lancer un boulet de 57 à 63kg à une distance de 75m. De façon plus réaliste, des reconstructions de trébuchets à traction basées sur les images de la Bible des croisés datant du XIIIe siècle ont démontré qu’avec une équipe de douze personnes, on pouvait lancer un boulet de 5kg à une distance de 100m à un rythme de six par minute environ. Ce type de trébuchet aurait fait des ravages lors du siège de Thessalonique par les Avares en 597.

L’invention du trébuchet à contrepoids demeure à ce jour mystérieuse. En effet, les historiens n’ont pu établir la date précise de son apparition, et encore moins qui en fût l’auteur. Il semble néanmoins certain que les engins de siège à balancier ou à contrepoids ne sont pas utilisés durant l’Antiquité puisqu’il n’y en a aucune description datant de cette période. L’attention des historiens s’intéressant au trébuchet s’est d’abord portée sur le siège d’Angers par Charles le Chauve en 873 parce que ce dernier aurait alors fait appel à des ingénieurs byzantins en raison de leurs machines «nouvelles et raffinées» (nova et exquisita). C’est en raison de cette mention que l’architecte et restaurateur de châteaux médiévaux du XIXe siècle Eugène Viollet-le-Duc a supposé que ces machines étaient technologiquement plus avancées que celles des Romains, donc possiblement des machines à balancier. Cette hypothèse a toutefois été réfutée et l’affirmation de machines «nouvelles et raffinées» a plutôt été attribuée à l’étonnement du chroniqueur de l’événement, Réginon de Prüm, qui n’avait fort probablement jamais vu d’engins romains, déjà oubliés à son époque. Ces engins se montreront d’ailleurs inefficaces pour prendre la ville et il faudra finalement détourner une rivière pour y parvenir.

C’est vraisemblablement durant les Croisades que le trébuchet à contrepoids aurait été inventé. Il est difficile de savoir laquelle des civilisations européenne, byzantine ou musulmane a été la première à développer l’artillerie à contrepoids, c’est-à-dire actionnée par la gravité. Cependant, la dynamique créée par les conflits a indubitablement entraîné une réaction d’adaptation à la technologie de l’adversaire, notamment par l’observation. Ce trébuchet, dont la chute brusque d’un poids lourd propulse le projectile, révolutionne le champ de l’artillerie médiévale. En effet, c’est le premier exemple de mécanisation d’un engin de guerre. Les premiers auraient été bâtis par les empereurs byzantins Basil II et Romain IV Diogène et ils auraient pu lancer des pierres de plus de cent kilogrammes. Ces trébuchets auraient été par la suite utilisés par les Croisés, grâce à l’aide de l’empereur Alexis Ier, lors du siège de Nicée en 1097. Les Arabes ont cependant eux aussi développé des trébuchets à contrepoids durant la même époque. En effet, l’ingénieur Marḍī ibn ʻAlī Ṭarsūsī a dessiné une arme de ce type dans son traité al-Tabṣirah fī al-hurūb (Traité sur l’armement) rédigé vers 1187 pour Saladin, bien qu’il soit fort possible que cet engin eût existé bien avant cette date. C’est la tradition scientifique, mathématique et géométrique qui permit aux Byzantins et aux Arabes d’augmenter l’efficacité de leurs engins de siège en termes de précision et d’équilibre. Ces trébuchets pouvant projeter des pierres de 45 à 124kg à une distance de 200m demeureront la pièce d’artillerie principale jusqu’au XVe siècle.

Le remplacement du trébuchet par le canon

Parallèlement à l’utilisation du trébuchet, une nouvelle arme fait son apparition. Dès 1324, l’artillerie à poudre est testée par les Français lors du siège de La Réole, au début de la guerre de Cent Ans. Sa puissance, et surtout son vacarme impressionnant, en fait une arme psychologique dissuasive. Son utilisation ne sera toutefois pas régulière avant la fin du XVe siècle puisque le canon est dangereux en raison des résidus de poudre incandescents qui demeurent dans le tube après un tir. De plus, la cadence de tir pose également un problème, puisqu’il faut près d’une heure pour effectuer un rechargement. C’est l’amélioration de la confection de la poudre explosive et le passage des boulets de pierre aux boulets de fonte qui feront que le canon s’imposera définitivement comme l’arme de siège par excellence à l’époque moderne. Seul un type de trébuchet concurrencera vraiment le canon jusqu’au XVIe siècle, soit le couillard. Requérant seulement quatre à huit personnes pour le manœuvrer, le couillard peut tirer des boulets pesant jusqu’à 80kg à une distance maximale de 180m, à un rythme de dix tirs par heure!

Pour en savoir plus…

SOURCES

Bible des croisés/Bible de Maciejowsky/Morgan Bible. Ms. M. 638, New York, Pierpont Morgan Library, 1240-1250.

Christine de Pisan. Le livre des faits d’armes et de chevalerie. Ms. Français 23 997, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1410.

Konrad Kyeser aus Eichstätt. Bellifortis. Codex Ms. Philos. 63, Göttinger, University of Göttinger, 1405.

Marḍī ibn ʻAlī Ṭarsūsī. al-Tabṣirah fī al-hurūb. Ms. Huntington 264, Oxford, Bodleian, 1187.

Végèce. Traité de l’art militaire. éd. et trad. Victor Develay, Paris, J. Corréard, 1859, 233 p.

Villard de Honnecourt. Album de dessins et croquis. Manuscrit Français 19093, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1201-1300.

ÉTUDES

BACHRACH, Bernard S. « Medieval Siege Warfare: A Reconnaissance ». The Journal of Military History, vol. 58, no 1 (1994), p. 119-133.

    • Cet article est essentiellement de nature historiographique. L’auteur analyse les études du XXe siècle portant sur la guerre au Moyen âge pour conclure que la guerre de siège est en fait très peu étudiée en comparaison avec la chevalerie, l’entraînement et l’utilisation de la cavalerie lourde.

BEFFEYTE, Renaud. L’art de la guerre au Moyen âge. Rennes, Éditions Ouest-France, 2005, 127 p.

    • L’auteur est un passionné de machinisme médiéval qui a recréé et testé plusieurs engins de siège. Il expose dans ce livre ses résultats.

BEFFEYTE, Renaud. La guerre au Moyen âge: Machines et secret militaire. Rennes, Éditions Ouest-France, 2010, 155 p.

    • Si Beffeyte a démontré tout son savoir-faire en charpenterie et en menuiserie dans son premier livre, l’auteur présente ici l’évolution de la façon de faire la guerre de l’Antiquité au Moyen âge.

CHEVEDDEN, Paul E. «The Invention of the Counterweight Trebuchet: A Study in Cultural Diffusion». Dumbarton Oak Papers, vol. 54, no 1 (2000), p. 71-116.

    • Une étude très complète du développement et de la diffusion du trébuchet. L’auteur présente et compare des sources byzantines, arabes et européennes au niveau des représentations graphiques, mais également au niveau de la terminologie.

CONTAMINE, Philippe. La guerre au Moyen âge. Paris, Presses Universitaires de France, 1980, 517 p.

    • Un classique qui sert de base pour toute personne qui veut se renseigner sur la guerre au Moyen âge.

FULTON, Michael S. «The Myth of the Hybrid Trebuchet». Viator, vol. 48, no 2 (2017), p. 49-70.

    • Un récent article dans lequel l’auteur s’attaque au mythe du trébuchet hybride en démontrant qu’il n’y a en fait aucune preuve concrète de son existence, seulement des suppositions théoriques.

HALL, Alfred Rupert. «Military Technology». Dans Charles Singer (dir.). A History of Technology. Oxford, Clarendon Press, 1957 (1956), vol. 2, p. 695-730.

    • Ce chapitre, bien qu’il date, présente habilement les technologies militaires de l’époque romaine, mais peu celles du Moyen âge.

KOCH, Hannsjoachim Wolfgang. La guerre au Moyen âge. Paris, Fernand Nathan, 1980 (1978), 256p.

    • Ce livre aborde les principaux thèmes, événements et équipements reliés au domaine militaire et il possède l’avantage d’être abondamment illustré.

NICHOLSON, Helen. Medieval Warfare: Theory and Practice of War in Europe 300-1500. New York, Palgrave MacMillan, 2004 (2003), 252 p.

    • Ouvrage général dans lequel sont présentés l’armée, les bâtiments et l’équipement militaire. Une deuxième section traite de la conduite de la guerre sur terre, puis sur mer.

TARVER, W.T.S. « The Traction Trebuchet: A Reconstruction of an Early Medieval Siege Engine ». Technology and Culture, vol. 36, no 1 (1995), p. 136-167.

    • Un article très intéressant dans lequel l’auteur présente d’abord la théorie et les données factuelles concernant le trébuchet à traction, puis le résultat des reconstitutions qu’il a mené.

Pour toute question ou commentaire : Yanick.laverdiere@usherbrooke.ca

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante:
Benoît Buscemi (16 janvier 2020). La mécanique des trébuchets. Via Moderna - Les sciences médiévales. Consulté le 18 août 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/v72q

La mécanique des trébuchets (2024)
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